lundi, janvier 30, 2006

King Kong 1933 : Signification mythico-politique

Texte de Paul Warren :


L’articulation narrative

Le film se divise en deux parties : Skull Island / Manhattan Island. Il est tout entier structuré sur le mythe de l’opposition entre la civilisation et la sauvagerie. Et ce mythe se concrétise, se «grosplanise» sur deux êtres antinomiques : la blonde jeune fille (Ann) et le monstre noir (Kong). Précisons ici que l’œuvre populaire en simplifiant au maximum fait fonctionner le mythe, l’occulte et l’installe subrepticement dans l’inconscient. Il faut noter qu’il n’y a que des personnages principaux dans le film (au premier plan) et tous sont stéréotypés : Ann, Denham, Jack, Skipper, du côté des Blancs (les autres personnages sont des figurants anonymes dans la coulisse); le chef de la tribu, une jeune fille noire, le sorcier, du côté des Noirs.

Donc une opposition radicale entre deux univers et qui se cristallise sur deux individus : Ann et Kong.

Tout fonctionne et se déplace à partir et à même cette opposition radicale. C’est elle qui donne au film son rythme d’entraînement. Nous sommes dans le monde du western.

Il y a cinq mouvements dans le film, tous déterminés par Ann, l’appât :

  1. La civilisation blanche avec Ann au centre fait irruption dans la tribu noire de Skull Island, stoppe son rituel et provoque le conflit (à cause de Ann).

  2. La tribu primitive dans la civilisation blanche, s’empare de Ann et provoque le conflit.

  3. La civilisation blanche pénètre au cœur de la tribu primitive, détruit son ordonnance, récupère Ann et s’empare de Kong, le dieu du monde primitif et sa globalisation («grosplanisation»).

  4. Kong pénètre au cœur de la civilisation blanche de Manhattan Island et détruit son ordonnance.

  5. La civilisation blanche assiège Kong et le détruit par sa technologie.


[…]

Signification mythico-politique

Il faut rappeler la situation politique du début des années trente, aux Etats-Unis, au moment de la pré-production de King Kong. La philosophie du «laisser faire» de Jefferson, basée sur la confiance en l’individu moral se développe en une politique ouverte du pouvoir central orienté vers la protection des intérêts des privilégiés. Les présidents républicains Harding, Coolidge et Hoover deviennent, dans une bonne mesure, les serviteurs des financiers qui dominent le congrès. Ils président ainsi à une énorme concentration du capital entre les mains de quelques-uns et, dès lors, à l’accumulation des causes de la crise de 1929.

Pour redresser le capitalisme F.D. Roosevelt s’appuie sur les syndicats, le petit peuple, les Noirs et les intellectuels (pour la première fois de leur histoire, les Noirs voteront démocrates en 1933). Il permet aux Unions de recruter, en quelques mois, plus de 1 million et demi de nouveaux adhérents. Il s’entoure d’une équipe d’intellectuels qui forment le «braintrust» de la nation («Eggheads». L’inquiétude des éléments conservateurs tourne à la panique. Il importe de noter que les intellectuels étaient plus suspects que jamais aux Etats-Unis; et pour cause, en 1930, 52 écrivains de renom, dont Dos Passo et Miller, soutiennent la candidature du communiste John Foster. Les ouvriers se sentent forts, soutenus qu’ils sont par le candidat Roosevelt. Ils provoquent des grèves un peu partout. Dans 20 États, on doit faire appel aux gardes nationaux : il y a des accrochages, des blessés et des morts.

Mais surtout, et c’est capital pour la compréhension de King Kong, les Noirs bougent et se révoltent. Des incidents sérieux se produisent dans les grandes villes, en 1930, 1931, 1932. Des marches de la faim sur Washington s’organisent et s’amplifient.

Il est clair que King Kong est un film politique et anti-Roosevelt. Lorsque le monstre noir brise ses chaînes et terrorise les New-Yorkais, ce qui s’exprime c’est la grande peur des Noirs qui prennent du poil de la bête, c’est le «New Deal» de Roosevelt qui vole en éclats.

l l l

J’ajoute que si ton premier réflexe c’est : «Mouhaha voyons donc!», je te prie de quand même considérer cela sous cette perspective :

« Et qui, d’après toi, finance ces films? »


  • ^^ retour


  • Statcounter